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PSG : Adrien Rabiot n'a pas l'âge pour être indiscutable mais n'a plus de temps à perdre

Thibaud Leplat

Mis à jour 03/08/2015 à 16:32 GMT+2

LIGUE 1 - Trop jeune pour revendiquer une place de titulaire dans l'entrejeu du PSG, Adrien Rabiot (20 ans) aborde la saison dans la peau d'un remplaçant. A-t-il raison d'être en guerre avec son club depuis plusieurs mois ? Eléments de réponse.

Adrien Rabiot, le milieu de terrain du PSG, lors de la saison 2014-2015.

Crédit: AFP

Peut-être qu’Adrien Rabiot, au fond, a raison. Et si, pour une fois, on changeait de point de vue, juste pour quelques minutes ? Que ressentirait-on si on était lui ? Sans doute devinerait-on dans ce même goût de fer, ce même estomac noué, l’amertume de la déception. Devant ceux qui nous inviteraient à être plus amène et magnanime, on ne pourrait éviter aux traits de notre visage de se creuser un peu plus nettement, à notre mâchoire de se serrer plus fort et à notre corps de vouloir en découdre sur le champ. On ne supporterait plus ces mots : temps, patience, maturité.
L’incident le plus misérable serait rempli tout à coup de langage et de colère noire, parce qu’il serait pour nous un signe, un indice de notre persécution. Pourquoi les récompenses allaient-elles toujours aux mêmes, penserait-on, c’est-à-dire aux plus silencieux, aux plus serviles, jamais aux plus impatients, aux plus talentueux ? Il y aurait en plus cette sourde résignation qui nous obligerait à nous taire plutôt qu’à nous révolter contre nos idoles, qui forcerait à la sagesse plutôt qu’à la déraison comme si pour eux, grandir, se résumait à une seule et même affliction: avaler des milliers de couleuvres.
Rabiot est un gamin et comme tous les gamins, il veut jouer. Mais Rabiot est un ado et comme tous les ados, sa crise est aussi celle des adultes qui l’entourent. Pour comprendre ce que mûrir veut dire, faisons le pari de la bienveillance et écoutons ce que ce gamin avait à nous dire.

La charrette est partie sans lui

L’incident du bus, la veille de la finale de la Coupe de France, aurait dû nous alerter. Ce jour-là, il avait voulu, après des mois passés à attendre que son tour vienne enfin, que pour une fois, à l’occasion du dernier match de l’année, le bus (métaphore existentielle facile à saisir) l’attende. Sa colère fut grande, nous raconta-t-on quand il vit qu’il n’y aurait pas d’exception et que non seulement il l’avait manquée mais surtout que la maudite charrette était partie sciemment sans lui.
Comment allait-il réagir face à ce nouvel incident (qu’il avait lui-même provoqué par son retard, c’est le propre de l’adolescent), si ce n’est par encore plus de colère et de frustration ? Cet évènement, loin d’être l’occasion d’un rappel à l’ordre, sonnait pour notre sujet comme "une injustice" et donc la confirmation de son obsession. Dans un dialogue imaginaire entre lui et les adultes, il avait donné l’occasion à ses adversaires de lui prouver une dernière fois leur attachement (sinon, pourquoi avait-il ainsi pris la peine de les prévenir de son retard ?). Mais bien sûr, les vieux ne l’avaient pas attendu et l’avaient abandonné.
Il en avait désormais le cœur net : si on lui réclamait de la patience, en fait, ce n’était que pour l’éloigner un peu plus d’eux. Ils le craignaient et ne voulaient pas de lui dans ce bateau-là, voilà ce qu’il avait compris. D’ailleurs, comme pour condamner par contumace le futur récidiviste, le journaliste glissa avec perfidie qu’Adrien, de toute façon "était souvent en retard" et que Rabiot avait "choqué le groupe en particulier les étrangers qui ne plaisantent pas sur la discipline" .
L’importun mériterait donc la sanction qui ne manquerait pas de s’abattre sur lui, quoiqu’il arrive et quelle que fût sa défense (toujours trop clémente pour un tel insoumis). Peu importe si c’était l’inverse qui s’était en réalité passé (c’est le car qui était parti sans lui, pas lui qui était parti sans le car) : on reprochait à Adrien d’avoir délibérément abandonné ses coéquipiers, comme on reprocherait à un naufragé d’être tombé du bateau. On lui avait demandé du temps, il nous offrait du retard. On voulait le contraindre à la résignation, il nous répondait par la colère.
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Adrien Rabiot à l'entraînement du PSG

Crédit: AFP

Recadré par Ibra

Il y eut plus récemment l’affaire Ibra et ces mots échangés sur une pelouse américaine. Il faut regarder dans le détail le déroulé du match pour comprendre la colère du jeune parisien face aux adorateurs du temps présent. Entré en jeu à la place de Benjamin Stambouli (nouveau rival à peine recruté, autre motif de courroux), il avait l’air à l’aise aux côtés de Thiago Motta et de Blaise Matuidi. Il avait beau avoir en face de lui le diable de Diego Costa lui harcelant les chevilles, Adrien semblait calme et, les cheveux en l’air et le pied gauche inspiré, imprimait au jeu un tempo soutenu. Jamais on ne le vit perdre un ballon bêtement, balancer au hasard (combien de passes longues David Luiz a-t-il raté depuis son arrivée à Paris ?).
Il y a du Busquets, du Motta, du Modric dans ce Rabiot. Comme eux, son jeu est imperméable à l’hyperbole. Mais comme eux, il a la richesse silencieuse d’une ligne de basse qui donne son rythme et son relief au morceau, c’est-à-dire sa substance.
Avoir 20 ans dans cette équipe et occuper ce poste n’est pas à la portée du premier génie venu. On a vu Verratti, certes, mais on a eu de la chance. Que serait-il pour nous sans ses prises de risques insensées ? Sans ces passements de jambe réussis sous la pression ? Qu’arrivera-t-il le jour où, en finale d’une Coupe d’Europe, le petit Italien manquera un crochet à trente mètres de ses buts pour, du statut de génie précoce, redescendre tout à coup à celui d’un enragé de plus ?

Plus Pirlo que Gattuso

Si Rabiot parfois manque un contrôle, une passe (38 passes réussies sur 41 en 45 minutes) c’est parce qu’autour de lui, David Luiz s’est trop approché (voir la deuxième mi-temps catastrophique du Brésilien contre Manchester United, le 31 juillet) et lui a coupé ainsi une option de passe. C'est aussi parce que Matuidi a préféré un appel dans la profondeur (se terminant souvent sur le genou ou le poitrail d’un défenseur adverse) plutôt qu’une diagonale à une touche de balle.
Si Rabiot manque aussi parfois quelques "duels" au milieu (contre le soldat Ivanovic à la 78e minute), c’est pour nous rappeler qu’il a beau jouer au milieu de terrain, Adrien ne vit plus au temps des sentinelles.
Exiger de lui de ratisser, de récupérer, c’est demander à un gamin vivant à l’époque de Pirlo, Alonso, Motta, Rakitic ou Modric, de revivre au temps des Vieira, Desailly, Deschamps et Gattuso. Le temps de Rabiot n’est pas fait de tacles glissés ou de semelles bien senties. Le temps de Rabiot est celui des ralentis et des accélérés, c’est-à-dire, de l’intelligence et de l’anticipation. Adrien est un élégant au milieu des mal-appris, un poète sous la mitraille.
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Adrien Rabiot (PSG), lors du Trophée des champions 2015.

Crédit: AFP

Le sens du sacrifice

Les honnêtes gens reconnaîtront d’ailleurs qu’Ibra avait mieux à faire que de jouer en un-contre-un à trente-cinq mètres de ses buts et qu’il avait au moins deux options de passe disponibles. Le ballon qu’il était en train de négocier avait été élégamment récupéré et sorti de la défense en supériorité numérique (cinq contre trois). Motta avait demandé, Rabiot couvert et Marquinhos joué. On ne s’improvise pas animateur du jeu, accélérateur de ballons, fabricant de sérénité.
Quand, après avoir touché six fois le ballon en trois secondes, et non content de ralentir le rythme vertigineux de cette sortie de balle que les esthètes du monde avait déjà imprimé dans leur cortex, Zlatan perdit le ballon bêtement devant Eden Hazard. Et, plutôt que de montrer l’exemple en tâchant de rattraper sa maladresse par un tacle ou quelconque action défensive spectaculaire, il ordonna à Adrien, du bras, d’être un peu plus attentif. Forcément, le gamin plongea pour empêcher Hazard d’aller au but (Paris menait alors 1-0). Forcément, il vit un carton jaune après seulement cinq minutes d’entrée en jeu.
Si le football est un sport collectif, il est individuel à l’heure du sacrifice. Quand, à la télévision espagnole, on qualifiait son geste de colère envers son capitaine de "courageux" et louait la "personnalité" du jeune Parisien, dans son pays natal, on se mit à lire sur ses lèvres ce qu’on voulait y lire ("fils de pute" selon les twittos, bon…), pour finalement parvenir toujours à la même conclusion : Rabiot n’était qu’un "rebelle récidiviste", on nous l’avait bien dit. Son passé, c’est son passif.

Verratti et Busquets, les contre-exemples

"Rabiot doit attendre son tour, comme tous les autres" : voilà ce qu’on entend tous les jours au bistrot. Ou bien : "Il n’a que 20 ans, il a tout le temps". Ou encore : "Le plus important, c’est l’institution. On ne peut pas se permettre de céder aux caprices d’un gamin." Mais alors pourquoi Verratti, 23 ans, faisait-il depuis deux saisons l’objet d’autant d’éloges si la maturité était donc une affaire de date de naissance ? Pourquoi admirer Busquets qui, dès sa première saison chez les grands, fut titulaire aux dépens de Yaya Touré et champion de tout à l’âge de 20 ans ? Comment la jeunesse pouvait-elle être d’un côté de notre existence une qualité remarquable et de l’autre, une insolence impardonnable ? Que serait devenue la littérature française si Rimbaud avait demandé à ses aînés la permission d’écrire des vers à 11 ans ? S’il faut prendre ici la défense d’Adrien, c’est pour ce qu’il nous dit de nous-même et de cette satanée obsession de voir des racailles partout.
Le cas Rabiot met au grand jour cette réticence intérieure à reconnaître une forme de sagesse aux adolescents exaltés. La question que pose l’insolence de Rabiot n’est pas celle de la justice. Sinon qu’on nous dise précisément, quelle était la sanction la plus efficace contre la jeunesse. Le bannissement ? A combien de milliers d’euros évalue-t-on le délit d’irrévérence ? Combien de jeunes talents faudra-t-il exclure de nos équipes avant d’éradiquer enfin le gêne de l’impertinence ? Comme il est impossible d’interdire l’impatience, on a préféré en interdire les manifestations.
Mal nous en a pris. Ce qu’on encourageait et célébrait nous-même d’un côté quand on avait 17 ans - la réussite, le panache, la révolte -, on le déplorait maintenant que dans notre maison un ado se révoltait à son tour contre l’ordre établi, c’est-à-dire, contre nous-même. On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans. Et c’est tant mieux.
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Marco Verratti (PSG)

Crédit: Panoramic

Une saison en enfer

Et s’il avait raison, le petit ? Et si les raisonnements de père de famille grognons qui sanctionnent aveuglément le moindre manquement à la discipline archaïque avaient plus à voir avec le ressentiment qu’avec la justice ? Quel était l’objet de la biographie de Zlatan Ibrahimovic, de Zinédine Zidane, de Thiago Motta, d’Edinson Cavani si ce n’est ce même caractère insatisfait, ce même besoin de démolir les idoles ? Comment faire le procès en immaturité d’un gamin de 20 ans quand nous dépensions tout notre temps libre - nous, les plus de 20 ans - à de motifs aussi futiles qu’une victoire à l’extérieur ou un but qui compte double.
Etait-ce raisonnable de regarder trois matches par semaine depuis l’âge de 6 ans ? Etait-ce adulte de se mettre à hurler quand un défenseur ratait une passe en retrait à son gardien ? Était-ce un gage de maturité que de dormir sous la protection d’un portrait de Javier Pastore ? Pourquoi exiger de Rabiot qu’il soit adulte, mesuré, quand nous-mêmes sommes incapables de patienter plus de trois jours avant de nous donner rendez-vous devant une nouvelle rencontre aussi vaine que la précédente ?
Imaginons, dans un tel contexte, ce que serait que de n’être jamais examiné comme "Adrien Rabiot, joueur du Paris-Saint-Germain", mais toujours plutôt comme une notion aussi vague qu’un "espoir", "le futur du PSG" ou - pire encore - "un projet à long terme". "A long terme, nous serons tous morts", écrit un jour Keynes, et cet homme-là n’était pas poète ou philosophe, il était économiste. L’ennemi d’Adrien Rabiot n’est pas sa mère, son club ou son capitaine. Le seul ennemi d’Adrien, c’est celui qui creuse des trous grands comme des tombeaux et qui transforme les espoirs en déceptions, les jeunes en vieux, les enragés en bourgeois. L’ennemi d’Adrien Rabiot, c’est le temps.
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